Et si l’étiquette d’un vêtement ne suffisait plus ? De plus en plus concernés par les questions de traçabilité et de transparence, les consommateurs incitent les marques à aller dans le bon sens et sont bien décidés à faire bouger les lignes. Au travers de la campagne #whomademyclothes de Fashion Revolution ou de marques émergentes comme Maison Cléo prônant la transparence totale, l’industrie de la mode est en pleine révolution.

En 2019, le baromètre de la consommation responsable de GreenFlex / Ademe révélait que seulement 26% des français déclaraient faire confiance aux grandes entreprises.

On fait l’état des lieux avec Josselin Vogel qui a créé, avec Anne-Laurence Villemonteil, ViJi : une application qui retrace l’histoire des vêtements au bénéfice des marques et du consommateur.

Crédit: Fashion Revolution

Bonjour Josselin, peux-tu nous raconter ton parcours avant la création de ViJi ?

« Mon parcours professionnel a commencé avec 14 années dans l’industrie textile dont 11 passées chez l’un des principaux retailers français. Je suis entré dans ce monde par la logistique et la supply chain. J’ai ensuite évolué vers des missions plus transverses au sein du groupe comme l’accompagnement à la restructuration de la centrale d’achats et la réflexion sur la stratégie omnicanale.

Durant ces années, je n’ai eu de cesse de me questionner sur les pratiques du secteur et sur les évolutions de mon métier qui perdait du sens à mes yeux. J’ai été marqué par de nombreuses ambivalences d’une industrie qui ne s’appelait pas encore la « fast-fashion » mais qui en prenait clairement la voie ».

C’est ce constat qui t’a donné envie de faire bouger les choses ?

« Le déclic s’est fait en plusieurs étapes progressives. Ça faisait 11 ans que j’étais chez le même employeur et malgré tout le confort que j’avais et tout le respect que je lui devais, j’ai voulu retrouver du sens dans mon métier. Étant breton, je me suis logiquement tourné vers l’agroalimentaire où je suis resté 3 ans. Tout d’abord dans l’industrie du biscuit puis en devenant Directeur du Programme de Transformation d’une grande laiterie de la région de Rennes.

À la sortie de cette expérience est apparu un parallèle assez évident entre la filière agroalimentaire, qui a connu la crise de la vache folle il y a 25 ans, et le textile qui, sans catastrophisme exagéré, est un peu dans la même situation. Le secteur de la mode connait sa propre crise avec des scandales récurrents, une opacité de sa chaîne et un consommateur qui a étendu son périmètre d’exigence.

La filière agro a clairement progressé dans le domaine de la transparence et de la traçabilité. On a pensé qu’il faudrait adapter les méthodes de l’agro à la filière textile, bien plus complexe. Avec la connaissance du métier que l’on a Laurence et moi, nous nous sommes sentis capable d’apporter une valeur ajoutée dans le processus de transformation écoresponsable de la filière. Voilà comment est né ViJi ».

Tu parles de la complexité de la supply chain dans le textile, est-ce qu’on peut faire une comparaison avec l’agroalimentaire ?

En moyenne dans le textile, tu peux avoir entre 7 et 12 intervenants pour un produit. Dans l’alimentaire, les supply chains se resserrent avec un nombre d’intermédiaires moindre et surtout avec un périmètre géographique moins mondialisé.

Concrètement dans l’agro on est sur des produits avec des faibles marges, des problématiques sanitaires complexes qui t’obligent à avoir des durées de trajets relativement courtes. Ce n’est pas le cas de la majorité des productions textile où on va parler quasi systématiquement d’un process mondial. Dans l’agro, tu vas rarement voir une omelette dont les œufs viennent de Chine… »

 

    Crédit photo Viji

    Est-ce qu’on pourrait aller jusqu’à faire la comparaison entre la crise de vache folle et l’effondrement du Rana Plaza ?

    « S’il y a forcément un parallèle, il y quand même une dimension différente car la crise de la vache folle a directement touché la santé des consommateurs. Le Rana Plaza a plutôt éveillé des consciences et c’est arrivé à un moment où les gens commençaient à être plus attentifs aux conséquences de leurs actes. Pour le coup, on a directement subi le scandale de la vache folle. Pour le drame du Rana Plaza, on peut se questionner sur notre part de responsabilité.

    Néanmoins quand tu regardes toutes les études sur les attentes des consommateurs en termes d’informations sur un produit, la première chose qui revient c’est l’innocuité. Même s’il y a moins d’enjeux sanitaires sur les vêtements ça reste la préoccupation première des consommateurs ».

    Pourquoi les acteurs de la mode ont intérêt à s’intéresser au sujet de la transparence dès aujourd’hui ?

    « Aujourd’hui si tu n’es pas en maitrise de ta chaîne de valeur ça veut dire que tu peux te retrouver dans le prochain drame humain à l’image du Rana Plaza. Tu peux aussi être le prochain qui va se faire épingler par Elise Lucet sur un reportage potentiellement à charge.

    Ça veut dire aussi que tu te mets en risque vis-à-vis de la législation comme le devoir de vigilance, l’obligation sur l’affichage environnemental et bien d’autres. Aussi, tu te mets en risque vis-à-vis des salariés qui attendent de leur entreprise qu’elle contribue positivement aux valeurs qu’elle porte ; en danger envers les investisseurs qui attendent de leur argent qu’il n’ait pas ou peu d’effets négatifs sur la planète.

    Aujourd’hui, les gens qui ne voient pas ça comme des priorités sont ceux que l’on retrouvera en queue de peloton, si ce n’est pas pire, dans quelques temps ».

    Quelles sont les attentes des consommateurs en matière de transparence et de traçabilité ?

    « Le consommateur évolue à vitesse grand v ! Il n’est pas naïf ou en manque de connaissance, il est en constante évolution. Il y a trois ans quand on a commencé à penser le projet ViJI, la question numéro une du consommateur était « j’aimerais bien consommer écoresponsable mais je ne sais pas où ». Aujourd’hui, il se pose une question encore plus importante « tout le monde se dit écoresponsable, alors qui fait quoi, qui dit vrai ? ».

    Il pense à sa santé, à l’innocuité des produits mais aussi aux aspects sociaux, environnementaux et de traçabilité. Paradoxalement, le consommateur a envie de savoir mais se méfie de plus en plus. 3 français sur 4 considèrent que le discours d’une marque va systématiquement être soumis à un doute. Est-ce que la marque est légitime à parler d’elle-même ? C’est là que le tiers neutre de ViJi prend tout son sens.

    Anne-Laurence Villemonteil et Josselin Vogel le9s cofondateurs de Viji /Crédit photo Viji

    Est-ce qu’il y a une bonne méthode pour sélectionner ces informations à communiquer ?

    « Nous avons fait le choix de ne jamais imposer à une marque les informations à mettre en avant. C’est la marque qui va, avec ViJi, piloter un périmètre de données qu’elle aura défini comme prioritaire. Nous, on va toujours conseiller dans un premier temps de se limiter. Exploiter de la donnée est couteux, cela fatigue un peu tout le monde de devoir renseigner partout et sans arrêt des informations et derrière, si on ne les valorise pas, cela n’a aucun intérêt à part diluer le bénéfice de l’action.

    Ensuite, parmi toutes les informations qui sont disponibles c’est bien la marque qui va avoir la main car on ne veut pas intervenir sur la forme du message, sur le choix de ce qu’elle pousse au consommateur ou pas, preuve associée. Mieux vaut en mettre trop peu qu’en mettre trop. Avec le trop les consommateurs ne comprennent plus rien ».

    Concrètement, comment ça fonctionne ? Je suis une entreprise qui veut se lancer, par où je commence ?

    « Il faut commencer par prendre la photo de la situation de départ. Plus tôt l’entreprise va se poser des questions, plus tôt elle va pouvoir mettre sous contrôle les choses qui vont devoir être analysées, étudiées et mesurées.

    Deuxième étape : embarquer les fournisseurs dans la démarche. Il n’y a pas que le consommateur qui doit obtenir un bénéfice, il faut aussi que le fournisseur y trouve son compte. Il bénéficie des gains de productivité et d’organisation autour de l’information RSE grâce à ViJi mais en plus de ça, on lui fait une vitrine en parlant de lui auprès du consommateur et en mettant en valeur son travail.

    Ensuite, on invite les entreprises à directement se lancer en btoc, en partageant des données de base (pays du fournisseur, certifications, composition…) pour créer une passerelle de communication avec le consommateur sans prendre aucun risque. En parallèle, on sécurise les données en authentifiant les certificats et labels car oui… les faux existent !

    Si tout se passe bien, nous sommes capables de réaliser ces étapes en 2-3 mois. On conseille toujours de commencer tout de suite de manière sécurisée et ensuite de maintenir le mouvement ».

    Dans les entreprises, avec quels services êtes-vous amenés à travailler ?

     

    « Aujourd’hui la RSE est pratiquée de 1000 manières différentes. Il y a une manière par marque et des configurations différentes allant du service RSE dédié, à l’adossement aux ressources humaines ou aux achats. Mais le principal pour que la démarche soit seine et pour assurer la livraison dans les meilleurs délais, c’est l’implication de la direction générale, au moins dans la trajectoire à insuffler ».

    Est-ce qu’en travaillant sur ce sujet tu as brisé des idées reçues ?

    « Il n’y a plus d’éducation à faire sur la priorité d’une démarche de transparence. Mais il y a de l’éducation à faire sur son côté pragmatique. La filière « se fait avoir » dans des buzzs ou des coups de com’.

    Globalement, il y a beaucoup de sincérité dans les démarches. Les acteurs de la filière font ce qu’ils peuvent et les démarches qui fonctionnent sont toujours portées par des personnes humbles et sincères qui tiennent au courant des avancées. Au-delà du périmètre initial imaginé dans les discussions, les marques elles-mêmes nous suggèrent d’autres périmètres d’utilisations. Je suis aussi agréablement surpris de voir que ViJi alimente la stratégie RSE des marques.

    Il y a encore beaucoup de travail mais ça va dans le bon sens et de toute façon, on ne retourne pas une filière en 2-3 ans. Et ça aussi le consommateur est capable de le comprendre ».

    Interview réalisée par Simon Barelle de

     pour Fashion That Cares.

    Retrouvez la présentation de Viji par Anne-Laurence et Josselin dans notre nos Rencontres That Cares.